La Science de l'Autocompassion : Impact sur l'Individu et la Société

Nov 15 / Philippe Boucher
« Et si je découvrais [...] que j’ai moi-même besoin de la générosité de ma propre bienveillance, que je suis mon propre ennemi, celui qui doit être aimé ? » 
Carl Gustav Jung - Psychology and Religion: West and East, 1958, p.520

Origine et intention

Cet automne, dans le cours de méditation, j’étudie un texte important de la tradition bouddhiste avec mes élèves (attends une minute avant de changer de poste… la science s’en vient !) : le sutra du diamant. C’est un texte qui parle de la façon dont la compassion et la générosité émergent chez celles et ceux qui cessent de s’attacher à leurs histoires, leurs identités… Bref, leurs égos. Un prétexte qui nous offre l’occasion de discuter de plein de sujets dont celui de la compassion… Ça parle de bodhisattva là-dedans, un genre d’archétype ultime de la compassion. Et comme j’aime aborder les sujets de la vie sous différents angles, je vais prendre l’angle de la science de la compassion pour terminer la session d’automne.

Après avoir passé autant de temps à l’université (2001 à 2009, bacc., maîtrise et étude doctorale en biologie… bin non, pas de PhD; Et un retour aux études (doctorales) de 2017 à 2019 en épidémiologie de la santé mentale au travail… bin non, toujours pas de PhD), je suis toujours tenté de revenir à cette écriture sèche et précise de la science. Bien que je sois un fan de poésie et de belle prose, je trouve qu’il y a quelque chose de rassurant dans les explications scientifiques… Alors, de temps à autre, je vais vous parler d’un article que je trouve intéressant pour en faire un résumé…

Celui que j’ai choisi aujourd’hui en est un de Kristin Neff PhD, une chercheure du département de psychologie de l’Université du Texas, Austin. C’est un article intitulé « Self-Compassion : Theory, Method, Research, and Intervention » publié en 2023 dans l’Annual Review of Psychology. Les Annual Reviews sont dans tous les domaines de la science et sont bien réputés. C’est un genre de privilège de publier là-dedans. Cette chercheure travaille sur l’autocompassion depuis 2003 où elle a lancé ses recherches dans le domaine en publiant d’abord un questionnaire, le Self Compassion Scale. Ce questionnaire qui mesure les différentes dimensions de l’autocompassion, a été traduit en plus de 20 langues et le concept de l’autocompassion était retrouvé dans plus de 4 000 articles scientifiques en 2023.


L'autocompassion est une approche qui encourage chacun à se voir avec la même bienveillance que l'on pourrait accorder à un ami. Lorsqu’on se trouve face à un échec, une difficulté ou une peine, l’autocompassion consiste à trouver la force pour se soutenir et s'apaiser soi-même, en reconnaissant que ces moments font partie intégrante de l’expérience humaine. La professeure Neff n’a pas inventé l’autocompassion… L’autocompassion est intimement imbriquée dans plusieurs approches védiques, bouddhistes, yogiques, tantriques depuis des milliers d’années. Son innovation est surtout dans la systématisation (son questionnaire) de l’autocompassion pour qu’elle devienne un objet d’étude scientifique. Dans son article de revue, Neff développe une compréhension approfondie de ce concept, des recherches associées et des impacts observés sur le bien-être psychologique.

Contenu de l'article

Comprendre l'autocompassion

Les trois grandes dimensions que Kristin Neff autour desquelles elle a articulé sont programme de recherche

Les Effets Positifs de l'Autocompassion sur le Bien-être et les Relations

L'autocompassion, en plus de favoriser la résilience et le bien-être personnel, améliore les relations interpersonnelles en renforçant l'empathie, en réduisant les comportements nuisibles et en augmentant la satisfaction et le soutien mutuel au sein des couples, familles et milieux professionnels.

Les Mythes et Idées Reçues autour de l'Autocompassion

L'autocompassion améliore les relations interpersonnelles en renforçant l'empathie, la compréhension et la résilience, tout en réduisant les comportements nuisibles et le stress, particulièrement pour les soignants et les partenaires.

Vers une Société Plus Bienveillante

Kristin Neff souligne que l’autocompassion, en contraste avec les normes axées sur la performance et l’autoévaluation, offre une voie vers une société plus bienveillante, permettant à chacun de s'épanouir sans crainte de l’échec et de renforcer son bien-être et ses relations.
Ça traîne sur le babillard du studio !

Comprendre l'Autocompassion

L’autocompassion, selon Neff, est une manière de répondre à ses propres difficultés avec compréhension et douceur. Inspirée de la compassion pour l’autre, l’autocompassion implique de tourner cette bienveillance vers soi-même. Ce concept s’articule autour de trois dimensions clés :

01

Bienveillance envers soi-même vs. Jugement de soi 

Face à l'adversité, nous sommes souvent critiques envers nous-mêmes, un comportement qui, paradoxalement, exacerbe notre souffrance. La bienveillance envers soi-même est l’attitude opposée : elle consiste à se traiter avec empathie, en se parlant avec douceur et de manière compréhensive au lieu de se blâmer. Au lieu de se rabaisser pour un échec, on peut dire : « C’est difficile, mais je vais prendre soin de moi dans cette situation. »
02

Humanité partagée vs. Isolement

Lorsqu’on se sent isolé par la douleur ou l’échec, on oublie parfois que ces expériences sont universelles. L’élément de l’humanité partagée rappelle que la souffrance fait partie de la condition humaine. Cette reconnaissance nous aide à ne pas nous sentir seuls dans nos épreuves et nous permet de relativiser. Ça n'est pas non plus une idée d'uniformité des souffrances. Il s'agit d'une humanité commune et non pas une humanité unique.
03

Pleine conscience vs. Sur-identification

La pleine conscience, ou mindfulness, est un autre aspect fondamental de l’autocompassion. Elle permet d’observer ses pensées et émotions sans s’y identifier entièrement ou les ignorer. Ainsi, on peut prendre de la distance par rapport aux émotions négatives et éviter de les exacerber, facilitant ainsi une approche équilibrée face aux difficultés.

Les Effets Positifs de l'Autocompassion sur le Bien-être et les Relations

Bénéfice pour la santé mentale et physique

L’autocompassion a fait l’objet de nombreuses études ces dernières années, et les résultats sont probants : elle est associée à un large éventail de bénéfices pour la santé mentale et physique. Selon Neff, l’autocompassion favorise des émotions positives et réduit les émotions négatives. Les personnes qui pratiquent l’autocompassion manifestent généralement moins de symptômes de dépression, d'anxiété et de stress. Loin de se laisser abattre par les défis, ces personnes semblent plus résilientes et capables de rebondir après des expériences difficiles.

L'autocompassion contribue également à une satisfaction de vie accrue, car elle permet de se défaire de la quête d’approbation constante (notre adolescence qui colle !). Contrairement à l'estime de soi, qui repose souvent sur des comparaisons sociales, l’autocompassion ne dépend pas de la réussite ou de la perception d’autrui. Elle repose simplement sur l’acceptation de soi, telle que l’on est, dans toute son imperfection humaine.

Bénéfices pour nos relations

L'autocompassion a également un impact positif sur les relations. Les recherches de Neff montrent que les individus qui pratiquent l’autocompassion sont plus compatissants et compréhensifs envers les autres, ce qui améliore leurs relations. En effet, lorsqu’on est bienveillant envers soi-même, on a moins de besoins émotionnels insatisfaits, ce qui réduit les comportements relationnels nuisibles tels que l’agressivité ou la domination. Les partenaires, amis et collègues d'une personne qui pratique l’autocompassion sont plus susceptibles de la percevoir comme empathique, compréhensive et digne de confiance. Spécifiquement ça ressemble à :

1. Renforcement des Relations Amoureuses 
L’autocompassion contribue à améliorer la qualité des relations amoureuses. Les personnes auto-compassionnées sont perçues comme plus connectées émotionnellement, plus acceptantes et soutenantes de l’autonomie de leur partenaire. Ces qualités sont corrélées à une plus grande satisfaction au sein des couples, où les partenaires de personnes ayant cette pratique d’autocompassion se sentent plus acceptés et sont moins susceptibles de faire face à des comportements de contrôle ou d'agression verbale ou physique.

2. Attitude Compréhensive
L’autocompassion est liée à une capacité accrue de prise de perspective et de pardon envers les imperfections des autres, ce qui renforce un sentiment de similarité avec autrui. Les individus pratiquants l’autocompassion vivent moins de besoins émotionnels insatisfaits, ce qui réduit les comportements relationnels nuisibles et favorise des liens plus harmonieux et bienveillants.

3. Augmentation de l'Aide et du Soutien Social
Les recherches montrent que les personnes qui pratiquent l'autocompassion sont plus susceptibles de s'engager dans des comportements d'aide, même dans des situations conflictuelles. Par exemple, elles sont plus enclines à apporter leur soutien dans les situations d'urgence et montrent des objectifs relationnels axés sur le soutien mutuel et la confiance, ce qui crée un environnement relationnel plus positif avec leurs amis et collègues.

4. Réduction du Fardeau des Soignants
Pour les soignants, l’autocompassion réduit le stress et la fatigue professionnelle. Elle aide également les parents d'enfants ayant des besoins particuliers, comme ceux atteints d'autisme, en réduisant les niveaux de dépression et en augmentant leur satisfaction de vie. De même, les soignants professionnels, tels que les médecins et le personnel infirmier, bénéficient d'une plus grande satisfaction au travail et d'une réduction de l’incidence du burnout grâce à l'autocompassion.

En résumé, l'auto-compassion ne se limite pas à un bénéfice personnel ; elle contribue à une meilleure connexion avec autrui, favorise la compréhension et renforce la résilience dans les relations interpersonnelles.

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Les Mythes et Idées Reçues autour de l'Autocompassion

L'autocompassion, bien qu’efficace, est souvent mal comprise. Plusieurs idées reçues persistent, surtout dans les cultures occidentales où l'on valorise souvent la performance et l'autodiscipline. Voici quelques mythes communs, et la manière dont Neff les réfute :

1. L'autocompassion est une faiblesse
L’idée que l'autocompassion rendrait les gens « mous » ou « trop indulgents » est une crainte répandue. Cependant, la recherche montre que l'autocompassion favorise au contraire la résilience. En se considérant avec bienveillance, les individus peuvent mieux faire face aux difficultés, se relever plus rapidement après des échecs, et prendre des décisions plus équilibrées. L'autocompassion n'est pas un signe de faiblesse, mais une source de force intérieure qui permet d'affronter les défis avec sérénité et confiance.

2. L'autocompassion mène à l'indulgence envers soi-même
Une autre idée fausse est que l’autocompassion pousserait à « se laisser aller » et à éviter les efforts. En réalité, la bienveillance envers soi-même ne signifie pas se contenter de moins, mais plutôt prendre soin de son bien-être de façon durable. Les personnes qui pratiquent l'autocompassion adoptent souvent des habitudes saines, comme faire de l'exercice, manger équilibré et respecter leurs limites, parce qu'elles valorisent leur santé et leur équilibre sur le long terme.

3. L'autocompassion est égoïste
On craint aussi parfois que s’accorder de la compassion réduise notre capacité à être bienveillant envers les autres. Pourtant, la recherche indique que les individus qui pratiquent l’autocompassion sont plus empathiques et compréhensifs dans leurs relations. En prenant soin d’eux-mêmes, ils développent une maturité émotionnelle et un équilibre qui leur permettent de mieux soutenir et comprendre les autres. L'autocompassion renforce l'interconnexion avec l’autre et permet d’établir des relations plus harmonieuses et authentiques.

4. L'autocompassion diminue la motivation
Beaucoup de gens pensent que sans autocritique sévère, ils perdraient toute motivation. Cependant, l'autocompassion n'empêche pas de vouloir s'améliorer ; elle change simplement la nature de la motivation. Au lieu de viser des objectifs par peur de l’échec, l’autocompassion encourage une motivation plus durable, axée sur le désir de progresser et de se développer. La recherche montre que les personnes compatissantes envers elles-mêmes sont plus susceptibles de persévérer et de rebondir après un échec, car elles apprennent de leurs erreurs au lieu de s’en vouloir.

Vers une Société Plus Bienveillante

Kristin Neff conclut en soulignant l'importance de la bienveillance envers soi dans un monde où les normes sociales et les pressions individuelles tendent souvent vers la performance et la critique. La culture occidentale est centrée sur l’autoévaluation, la réussite individuelle et la comparaison sociale. Pourtant, l’autocompassion propose une approche bien différente et plus bénéfique pour le bien-être global. En adoptant l’autocompassion, non seulement pour soi-même mais aussi en tant que norme sociétale, on pourrait favoriser une culture plus compréhensive, où les individus peuvent s’épanouir sans craindre l’échec.

En appliquant ces principes et en intégrant l’autocompassion dans notre quotidien, nous pourrions transformer notre rapport à nous-mêmes et améliorer notre résilience, notre bien-être et la qualité de nos relations. L'autocompassion est plus qu'une simple habitude : c'est une voie vers une vie plus équilibrée, où chaque individu peut trouver un soutien intérieur dans les moments difficiles.

Philippe
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