« L'amour et la mort sont les grands cadeaux qui nous sont offerts ; la plupart du temps, ils sont transmis sans être ouverts. »
Rainer Marie Rilke
Retour
De retour dans le monde. Pendant que j’étais à Spirit Rock, j’avais un beau plan de match pour vous rapporter mon expérience. Assis maintenant à l’aéroport de San Francisco, j’avoue que je ne suis plus tout à fait certain de mon plan. Comment décrire ce genre d’expérience en rendant hommage au processus sans avoir l’air sur l’acide? Je vais faire de mon mieux…
Dans mon billet précédent, je vous avais parlé que ça n’était pas encouragé d’écrire. Eh bien, je n’ai pas tout à fait écouté. J’avais besoin d’écrire pour apaiser mon cœur et poser ma tête. C'est un peu long... mais je pense que ça vaut le petit effort supplémentaire.
Contenu de l'article
Mécanique de l’apaisement et de la transformation
Structure de la retraite. L'environnement général, les tâches et l'horaire
Maranasati, humanité partagée et mon sentier
Le thème de la retraite, mon cheminement et des rencontres touchantes
Un grand parmi les grands : Frank Ostaseski
Il y a des professeurs comme ça ! Ils sont peu nombreux, mais ont un impact positif dans la monde.
La mouche de la compassion : une amitié silencieuse
Une mouche a été l'occasion de tisser des liens incroyables avec une belle âme.
Mécanique de l’apaisement et de la transformation
L’ensemble de l’expérience est basé sur la simplification de la vie. En arrivant au centre, on nous assigne une tâche (dharma work qu’ils appellent) que nous aurons à faire pendant toute la durée de notre séjour. Je reçois la tâche de nettoyer le plancher de la cuisine à la fin de la journée (21h) avec deux autres personnes, Tom de Berkeley et Julia d’Oakland. Je réalise que je suis probablement le seul international des 80ish personnes présentes.
Ensuite, on nous dirige vers la Council House pour connaître notre chambre pendant le séjour. J’aurai la chambre 209 dans le dortoir Karuna (compassion). Je prends ensuite possession de mon spot de méditation dans le Meditation Retreat Hall. Je suis arrivé un des premiers, alors j’ai presque tous les choix. Je me choisis une place dans la 3e rangée. Je veux être en avant, mais pas dans la première rangée... Je suis un nerd réservé.
Il est peut-être 15h et je suis all set ! J’ai un peu de temps libre alors je défais mes bagages et je vais prendre des photos… Quand même ! Mais c’est bizarre de prendre des photos au début, on ne sait pas trop ce qui aura de l’importance. À 17h30, on soupe. De la bouffe végétarienne… presque tout est végane en fait. Rien de gastronomique, mais je suis satisfait de la proposition. Je le serai tout le long de la retraite d’ailleurs. C’est à 19h30 que la retraite commence officiellement avec le silence en trame de fond. Quatre professeurs seront présents avec nous toute la retraite : Nikki est la professeure principale et elle sera accompagnée par John et Kodo pour guider les méditations et les discours du dharma (dharma talk). Terry enseignera le yoga. L’ensemble du corps professoral est tel qu’attendu : gentil, généreux, supportant et compatissant.
C’est le lendemain que la mécanique de la retraite se déploie.
C’est le lendemain que la mécanique de la retraite se déploie.
Un horaire bien chargé
La suppression des choix et des décisions a vraiment quelque chose d’apaisant. Il y a toujours quelqu’un qui sonne une cloche qu’on peut entendre de partout sur le site… Même du haut des collines, la géographie des lieux agissant comme un auditorium romain. Alors, on se dirige tranquillement vers la prochaine chose à faire. Bref, on pense que c’est l’fun avoir des choix… On ne réalise forcément la charge mentale qui vient avec ce privilège.
Maranasati, humanité partagée et mon sentier
Je suis arrivé sur place un peu fébrile. Cependant, la mécanique de la retraite fonctionne rapidement dans mon cas. Je suis résolue à être un bon élève et à faire les pratiques demandées avec la plus grande diligence.
D’abord, le thème de la méditation est maranasati (marana : mort; sati : conscience, perception, réflexion), un thème parmi les plus forts à mon avis sur la vie. L’idée générale de la thématique est d’employer la conscience de la mort pour apprendre à apprécier la vie, clarifier nos valeurs, trouver un sens et faire en sorte que notre passage éphémère dans cette vie soit positif. C’est la fragilité de la vie qui met les choses en perspective. En entrant en contact avec sa précarité, on apprend que la vie est précieuse. Alors, on réalise qu’on n’a pas de temps à perdre. On souhaite vivre complètement et utiliser notre vie de manière responsable. La mort est la meilleure compagne d’une vie significative et d’une mort sans regret. Je m’emballe, mais on a fait plusieurs réflexions et contemplations sur le sujet dans les après-midis et les soirs. C’est un peu comme marcher dans la brume du matin. Au début, on ne sent pas vraiment que les gouttes formant la brume nous touchent. Puis, sans s’en rendre compte, on est tout trempé. J’ai l’impression que le thème m’a touché comme ça… délicatement jusqu’à ce que je sois complètement imbibé.
Ensuite, la mécanique est idéale pour l’apaisement de l’esprit d’un côté et l’appréciation de la vie de l’autre. Je m’explique. Je vois ce type d’alternance entre la méditation assise et la méditation marchée comme le diaphragme d’un appareil photo. Dans la méditation assise, le diaphragme est fermé, il ne laisse pas passer beaucoup de lumière. L’attention est alors concentrée autour de la respiration… La prochaine expiration est peut-être ma dernière. Dans la méditation marchée, le diaphragme de l’appareil est grand, la lumière entre de partout. L’attention est en mode grand ouvert. Le paysage que je vois, que j’entends, que je sens est peut-être le dernier que je perçois.
À mesure que la retraite progresse, je sens deux courants très forts. Le premier est celui où je me suis laissé toucher profondément par la réalité très humaine des participant.es avec qui j’ai eu le privilège de travailler dans les échanges. Dans ce genre d’échange, on a accès à des bouts de vie tellement intimes. Par exemple, la personne derrière moi se présente comme une generational trauma breaker. Ça se voit dans le caractère à la fois tendre et résolu de son assise. Ma voisine d’à côté nous confie qu’elle a un garçon dans la vingtaine avec des comportements à risque. Elle a dû se faire à l’idée qu’il ne vivrait peut-être pas vieux. Remplie de regret sur sa maternité, elle en est venue à apprécier chaque moment avec lui. Une autre s’est réveillée à 3h00 du matin le jeudi car c’était les funérailles de son amie en Angleterre. Une femme trop élégante pour être américaine, son accent confirmant mon soupçon, elle est devenue infirmière après avoir perdu ses parents trop tôt dans la vie. Elle voulait sauver les gens. Elle était toujours dans le Hall de méditation très tard le soir. J’ai salué profondément (sans me faire voir) et je l’ai laissé avec sa peine. Et cette jeune fille dans le groupe de partage qui n’a pas réussi à dire un mot… Trop effrayée. Elle avait les bras croisés sur son cœur, les poings fermés, le visage rouge, des torrents de larmes sur les joues. Et j’en passe tellement. Je pensais même être en bon terme avec la mort de papa jusqu’à ce que la question qui tue arrive. Tell me something you don’t know about death? Je ne connaîtrai jamais la façon dont papa a franchi le voile. Il était seul pauvre papa… J’aurais tant voulu lui tenir la main. Tout le monde, tout le monde vit quelque chose. J’ai pleuré… souvent. Comme le disait Robin Williams :
Ensuite, la mécanique est idéale pour l’apaisement de l’esprit d’un côté et l’appréciation de la vie de l’autre. Je m’explique. Je vois ce type d’alternance entre la méditation assise et la méditation marchée comme le diaphragme d’un appareil photo. Dans la méditation assise, le diaphragme est fermé, il ne laisse pas passer beaucoup de lumière. L’attention est alors concentrée autour de la respiration… La prochaine expiration est peut-être ma dernière. Dans la méditation marchée, le diaphragme de l’appareil est grand, la lumière entre de partout. L’attention est en mode grand ouvert. Le paysage que je vois, que j’entends, que je sens est peut-être le dernier que je perçois.
À mesure que la retraite progresse, je sens deux courants très forts. Le premier est celui où je me suis laissé toucher profondément par la réalité très humaine des participant.es avec qui j’ai eu le privilège de travailler dans les échanges. Dans ce genre d’échange, on a accès à des bouts de vie tellement intimes. Par exemple, la personne derrière moi se présente comme une generational trauma breaker. Ça se voit dans le caractère à la fois tendre et résolu de son assise. Ma voisine d’à côté nous confie qu’elle a un garçon dans la vingtaine avec des comportements à risque. Elle a dû se faire à l’idée qu’il ne vivrait peut-être pas vieux. Remplie de regret sur sa maternité, elle en est venue à apprécier chaque moment avec lui. Une autre s’est réveillée à 3h00 du matin le jeudi car c’était les funérailles de son amie en Angleterre. Une femme trop élégante pour être américaine, son accent confirmant mon soupçon, elle est devenue infirmière après avoir perdu ses parents trop tôt dans la vie. Elle voulait sauver les gens. Elle était toujours dans le Hall de méditation très tard le soir. J’ai salué profondément (sans me faire voir) et je l’ai laissé avec sa peine. Et cette jeune fille dans le groupe de partage qui n’a pas réussi à dire un mot… Trop effrayée. Elle avait les bras croisés sur son cœur, les poings fermés, le visage rouge, des torrents de larmes sur les joues. Et j’en passe tellement. Je pensais même être en bon terme avec la mort de papa jusqu’à ce que la question qui tue arrive. Tell me something you don’t know about death? Je ne connaîtrai jamais la façon dont papa a franchi le voile. Il était seul pauvre papa… J’aurais tant voulu lui tenir la main. Tout le monde, tout le monde vit quelque chose. J’ai pleuré… souvent. Comme le disait Robin Williams :
Everyone you meet is fighting a battle you know nothing about. Be kind. Always.
Robin Williams
Et l’autre courant était celui de la solitude et du silence. Dès que le bol sonnait pour indiquer la fin de la période assise, je me précipitais pour retrouver le sentier de la Madrone et mon chêne. C’est là que j’entrais en communion avec les bruants, les parulines, les urubus, les corneilles, les aigles, les serpents, les lézards, les chênes… mon chêne. Assis sous mon chêne j’ai ouvert le diaphragme de mon attention pour absorber le maximum de ce paysage surréel d’herbes séchés, de vent frais, d’odeur de conifères et de romarin et de son d’oiseaux, de grillons et de rainettes.
Un grand parmi les grands : Frank Ostaseski
Je commence à avoir rencontrer pas mal de profs dans ma vie. Quand ça fait plus de 20 ans que tu baignes dans un milieu, c’est juste normal… à moins d’avoir vécu sous une roche. J’ai été exposé à des professeur.es de yoga, des professeur.es de méditation, des professeur.es qui pensaient être des élèves et des professeur.es de vie. Certain.es font des vaguelettes dans nos vies, d’autres laissent des traces très profondes. Frank Ostaseski fera certainement un raz de marée. J’enseigne la méditation sur la mort et l’impermanence depuis 15 ans. C’est un sujet qui m’amène à me questionner sur la vie et qui m’oriente au quotidien sur ce qui est important. La brève rencontre avec Frank va changer à jamais la façon dont je vais aborder ce sujet à partir de maintenant.
Le grand homme, dans les 70 ans, arrive au bras de Nikki. Il a perdu la moitié de sa vision à la suite d’un accident cardiaque. Frank Ostaseski est un des membres fondateurs du Zen Hospice Project qui a vu le jour à San Francisco dans les années ’80 en réponse à l’épidémie de VIH qui faisait rage à l’époque. Au fil des années des gens de toutes les couches sociales sont venus terminer leurs jours à cet hospice. En plus de quarante ans de proximité à accompagner des milliers de personnes dans la mort, il a distillé la sagesse de tous ses professeurs (c’est comme ça qu’il appelle ses mourants) en cinq invitations qu’il est venu nous présenter dans le discours du dharma le mardi soir. Voici un mélange de ce qu’il nous a dit et ce que j’en ai compris. Toutes les confusions viennent de mon incompréhension :
À la fin, ça se résume à deux choses :
• Est-ce que j’ai aimé comme du monde ?
• Est-ce que j’ai été aimé ?
Pour elle et pour des millions d'autres gens qui avaient tellement besoin d'amitié, il fallait continuer sa manifestation, ne pas se laisser prendre, ruser, se cacher, défendre sans répit la marge humaine au milieu de nos pires difficultés, demeurer insaisissable quelque part au fond de la brousse, parmi les derniers éléphants, comme une consolation, une promesse, une confiance irréductible en nous-mêmes et dans notre avenir !
Gary, Romain. Les racines du ciel (p. 478)
La mouche de la compassion : une amitié silencieuse
Premier souper, je m’assoie au bout d’une table. Le Dining Hall est grand, il peut accueillir 100 personnes (j’ai compté les chaises). Puis une femme, mi-soixantaine, s’assoie en face de moi. Deux autres personnes se joignent à nous. On mange silencieusement pendant presque tout le souper. On ne sait pas trop comment agir encore, même si le silence n’est pas officiellement commencé.
Il y a beaucoup de mouches dans le Hall et j’en attrape une au vol, par réflexe (demander à ma blonde, je fais ça tout le temps). Puis la femme en face éclate de rire et me dit qu’elle est heureuse d’avoir vu ça. La connexion se fait instantanément. Et c’est là qu’on se présente. Elle, c’est Starr, elle vient du Maine… On est voisins ! Les deux personnes quittent et on se retrouve seuls à jaser. Sur le ton de la conversation, elle m’annonce qu’il y a cinq semaines, on lui a diagnostiqué un cancer du poumon, stade 4. Elle n’en a plus pour longtemps. C’est d’ailleurs ce qui l’a motivé à s’inscrire à la retraite, pousser par un ami qui l’avait fait il y a quelques années. Elle cherche à trouver une façon de naviguer à travers tout ça avec élégance. Aucun apitoiement sur elle-même. Une quête honnête. Une femme pleine d’énergie, une intelligence vive, un grand cœur et un sens de l’humour avec du mordant. Le Jell’O était pogné entre nous.
Elle a dû sentir quelque chose parce qu’elle me demande si je pouvais être un support si jamais elle perdait le contrôle de ses émotions. Son ami ayant fait la retraite auparavant avait été témoin d’un participant qui avait fait la méditation marché avec un autre incapable de contrôler ses pleurs. Il a simplement marché avec… jusqu’à ce que ça passe. Elle me demande ce genre d’aide. J’ai dit oui…
Puis à 19h30, toujours le premier soir, lors de notre première rencontre générale, je me rends compte qu’elle est assise juste devant moi… Il n’y avait aucun moyen qu’elle sache que j’étais là où même qui j’étais au moment où elle a choisi sa place. J’ai eu une tite épiphanie ! Elle aussi, en se retournant.
À chaque début de séance de méditation assise, j’ai commencé avec quelques respirations Tonglen pour Starr. J’ai inspiré sa peine, ses peurs, ses malaises physiques, sa confusion; j’ai expiré ma santé, ma confiance et ma force sans retenu. À quelques occasions, je suis allé manger à ses côtés. Rien de plus, mais je crois que ça a été suffisant. Je lui ai surtout donné plein d’espace pour qu’elle vive ses deuils à elle. Checked in à l’occasion.
Mes yeux se sont remplis à chaque fois que j’ai fait Tonglen.
Certains diront que j’ai fait ça pour ne pas vivre mes affaires à moi… Mais je ne crois pas. Ça m’a aidé à être plus résolu à chaque méditation, à me concentrer davantage sur les points importants de la pratique principale. C’était un check in personnel aussi. Es-tu là Philippe ? Es-tu entier en ce moment ? Et j’ai apprécié encore plus ma vie et celle de ma famille. La gratitude était au rendez-vous.
Comme tous les gens qui terminent une retraite de la sorte pour la première fois, elle annonce à la fin qu’elle souhaite faire un centre de retraite dans le Maine pour les gens qui ont besoin d’apaisement en fin de vie. Je suis le premier à signer sa feuille.
La voici sur la photo, deux mortels, walking each other home, comme le dit si bien Ram Dass. J’ai pris soin de saloper la photo en me mettant le manteau entre les jambes… La vie est imparfaite !
Philippe
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