Le Sutra du Cœur : Une clé pour embrasser l'interdépendance avec sagesse

Jan 21 / Philippe Boucher
Qu’y a-t-il dans un nom ? Ce que nous appelons une rose, par tout autre nom, sentirait tout aussi bon. 
—William Shakespeare, Roméo et Juliette

Présentation de l'intention

Cet hiver, j’ai décidé d’explorer le Sutra du Cœur avec vous dans le cadre de notre cours de méditation. Ce texte bouddhiste, court mais d’une profondeur infinie, est considéré comme l’un des plus précieux enseignements de la tradition Mahayana. Depuis longtemps, il m’accompagne dans ma pratique personnelle, et j’ai souvent été touché par sa capacité à mettre en lumière l’interdépendance de toutes choses et à remettre en question nos certitudes.

Le Sutra du Cœur n’est pas un texte à simplement lire ou réciter. C’est une porte d’entrée vers une compréhension plus intime de la réalité, une invitation à dépasser ce qui nous éloigne et à approcher la vie avec une sagesse renouvelée. Cet hiver, nous prendrons le temps de méditer sur ses mots, d’explorer ses significations et de voir comment il peut enrichir notre pratique quotidienne.

Je vous propose, dans ce premier billet, trois traductions libres qui nous permettront d'explorer différents thèmes de la pratique de méditation cet hiver. Les trois auteurs choisis sont des penseurs, des poètes et des professeurs qui me guident depuis des années... Je n'ai rencontré qu'un seul d'entre eux. Pourtant, ils sont, tous les trois, très chers à mon cœur. 

Contenu de l'article

Traduction no. 1 tirée du livre The Other Shore 

Auteur : Thich Nhat Hanh

Traduction no. 2 tirée du livre the heart sutra

Auteur : Red Pine

Traduction no. 3 tirée du livre An Arrow to the Heart

Auteur : Ken McLeod
Le sanskrit सूत्र, sūtra : De l’indo-européen commun *syuh- dont dérivent le grec ancien ὑμήν, humến, le latin suō, le lituanien siūti, l’anglais to sew, le russe шить, šit’, etc.

Sutra, suture ? – Disons simplement que cela maintient les choses ensemble. Les Tibétains ont choisi mdo (ils le prononcent doh), un croisement, là où les choses se rencontrent.

Cette rencontre ? C’est un mystère… Vous savez que quelque chose s’est produit, mais vous ne pouvez pas le mettre en mots.

L’esprit de l’enseignant et celui de l’élève.

1. Traduction de Thich Nhat Hanh : The Other Shore

Avalokiteśvara, tout en pratiquant la sagesse profonde qui nous mène à l'Autre Rivage, découvrit soudain que les cinq Agrégats étaient tous également absents d'existence propre, et par cette réalisation, il surmonta toute Souffrance.

Écoute, Śāriputra, ce Corps lui-même est l'absence d'existence propre et l'absence d'existence propre elle-même est ce Corps. Ce Corps n'est pas séparé de l'absence d'existence propre et l'absence d'existence propre n'est pas séparée de ce Corps. Il en va de même pour les Sensations, les Perceptions, les Formations Mentales et la Conscience.

Écoute, Śāriputra, tous les phénomènes portent la marque de l'absence d'existence propre : leur véritable nature est celle de l'absence de Naissance, de Mort, d'Être, de Non-Être, d’Impureté, de Pureté, d'Expansion, de Rétraction.

C'est pourquoi, dans l'absence d'existence propre, le Corps, les Sensations, les Perceptions, les Formations Mentales et la Conscience ne sont pas des entités séparées.

Les Dix-huit Domaines des Phénomènes, qui sont les six Organes Sensoriels, les six Objets Sensoriels et les six Consciences, ne sont pas non plus des entités séparées. Les Douze Liens de l’Interdépendance des processus mentaux et leur Résorption ne sont pas non plus des entités séparées.

La Souffrance, les Causes de la Souffrance, la Cessation de la Souffrance, le Chemin, la sagesse profonde et l'Accomplissement ne sont pas non plus des entités séparées.

Quiconque peut voir cela n'a plus besoin de rien atteindre.

Les Bodhisattvas qui pratiquent la sagesse profonde qui nous mène à l'Autre Rivage ne voient plus d'obstacles dans leur esprit, et comme il n'y a plus d'obstacles dans leur esprit, ils peuvent surmonter toute peur, détruire toutes les perceptions erronées et réaliser le Bonheur parfait.

Tous les Guides passés, présents et futurs, en pratiquant la sagesse profonde qui nous mène à l'Autre Rivage, sont capables d'atteindre la Sagesse authentique et parfaite.

C'est pourquoi Śāriputra, il faut savoir que la sagesse profonde qui nous mène à l'Autre Rivage est un Grand Mantra, le mantra le plus lumineux, le mantra suprême, un mantra incomparable, la Sagesse véritable qui a le pouvoir de mettre fin à toutes sortes de souffrances.

C'est pourquoi nous proposons un mantra pour faire l’éloge de la sagesse profonde qui nous mène à l'Autre Rivage :

Gate, gate, pāragate, pārasaṃgate, bodhi svāhā !

2. Traduction de Red Pine : the heart sutra

Le noble Avalokiteshvara Bodhisattva,
tout en suivant la profonde voie de la Prajnaparamita,
regarda les Cinq Agrégats
et, voyant qu'ils étaient vides d'existence propre,
dit : « Ici, Shariputra,
la forme est l'absence d'existence propre, l'absence d'existence propre est forme ;
l'absence d'existence propre n'est pas séparée de la forme,
la forme n'est pas séparée de l'absence d'existence propre ;
tout ce qui est forme est l'absence d'existence propre,
tout ce qui est l'absence d'existence propre est forme.
Il en va de même pour la sensation et la perception,
la mémoire et la conscience.
Ici, Shariputra, tous les dharmas sont définis par l'absence d'existence propre,
pas par la naissance ou la destruction, la pureté ou la souillure,
la plénitude ou le manque.
Par conséquent, Shariputra, dans l'absence d'existence propre il n'y a ni forme,
ni sensation, ni perception, ni mémoire, ni conscience ;
ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit ;
ni forme, ni son, ni odeur, ni goût, ni sensation
ni pensée ;
aucun élément de perception, depuis l'œil jusqu'à la conscience conceptuelle ;
aucun lien causal, depuis l'ignorance jusqu'à la vieillesse et la mort,
et aucun terme du lien causal, depuis l'ignorance jusqu'à la vieillesse et la mort ;
ni souffrance, ni origine, ni cessation, ni chemin ;
ni connaissance, ni acquisition, ni non-acquisition.
Par conséquent, Shariputra, sans acquisition,
les bodhisattvas prennent refuge dans la Prajnaparamita
et vivent sans murs dans l'esprit.
Sans murs dans l'esprit et ainsi sans peurs,
ils voient à travers les illusions et enfin atteignent le nirvana.
Tous les Guides passés, présents et futurs
prennent également refuge dans la Prajnaparamita
et réalisent l'illumination parfaite et sans égale.
Vous devez donc connaître le grand mantra de la Prajnaparamita,
le mantra de grande magie,
le mantra inégalé,
le mantra égal à l'inégalé,
qui guérit toute souffrance et est vrai, non faux,
le mantra dans la Prajnaparamita, ainsi prononcé :

Gate gate, paragate, parasangate, bodhi svaha.’
»

2. Traduction de Ken McLeod : An Arrow to the Heart

 

Je rends hommage à la Dame de la Perfection de la Sagesse.


Ainsi ai-je entendu. Un jour, le Guide séjournait sur le Pic des Vautours à Rajagriha, entouré d’une grande assemblée composée de la communauté monastique et de la communauté des bodhisattvas.

À ce moment-là, le Guide entra dans une absorption appelée Radiance Profonde, dans laquelle tous les éléments de l’expérience sont présents.

Au même moment, le noble Avalokiteśvara, le grand bodhisattva mahasattva, contemplait l’expérience de la perfection profonde de la sagesse, et il vit que les cinq agrégats étaient vides d’existence propre.

Alors, par la puissance du Guide, le vénérable Shariputra s’adressa au noble Avalokiteśvara, le bodhisattva mahasattva, et lui demanda :

« Ô Avalokiteśvara, comment un fils ou une fille de la noble lignée, qui souhaite expérimenter la perfection profonde de la sagesse, doit-il ou doit-elle s’entraîner ? »

Interpellé ainsi, le noble Avalokiteśvara, le bodhisattva mahasattva, répondit au vénérable Shariputra :

« Ô Shariputra, un fils ou une fille de la noble lignée qui souhaite expérimenter la perfection profonde de la sagesse contemple les cinq agrégats comme étant véritablement vides d’existence propre.

La forme est l’absence d’existence propre ; l’absence d’existence propre est la forme. L’absence d’existence propre n’est pas différente de la forme, et la forme n’est pas différente de l’absence d’existence propre. De même, la sensation, la perception, la formation mentale et la conscience sont l’absence d’existence propre.

Par conséquent, Shariputra, toute expérience est absence d’existence propre. Elle n’est pas définie. Elle n’est ni née ni détruite, ni pure ni souillée, ni incomplète ni complète.

C’est pourquoi, Shariputra, dans l’absence d’existence propre, il n’y a ni forme, ni sensation, ni perception, ni formation mentale, ni conscience ;

ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni esprit ;
ni forme visible, ni son, ni odeur, ni goût, ni sensation tactile, ni objet mental ;

ni élément visuel, ni élément mental, ni conscience associée ;
ni ignorance, ni cessation de l’ignorance, ni vieillesse et mort, ni cessation de la vieillesse et de la mort ;
ni souffrance, ni origine, ni cessation, ni chemin ;
ni conscience intemporelle, ni acquisition, ni non-acquisition.

C’est pourquoi, Shariputra, parce que les bodhisattvas n’ont rien à acquérir, ils demeurent dans la confiance en la perfection de la sagesse. N’ayant rien à obscurcir leur esprit, ils n’ont aucune peur. Ils abandonnent les illusions et atteignent le nirvāṇa.

Tous les Guides des trois temps, en faisant confiance à cette perfection de la sagesse, s’éveillent pleinement à l’éveil insurpassable, véritable et complet.

C’est pourquoi, Shariputra, il faut savoir que la perfection de la sagesse est un grand mantra, le mantra de la grande lucidité, le mantra insurpassable, le mantra égal à l’inégalé, le mantra qui apporte une paix complète à toute lutte. Ce n’est pas une illusion : sachez que c’est vrai.

Le mantra de la perfection de la sagesse s’exprime ainsi :

om gaté gaté paragaté parasamgaté bodhi svaha.

Créé avec